|

Théâtre au Fouta |
Dans
le Fouta Djallon, comme dans la plupart des régions africaines, la
notion de famille désigne soit tous ceux qui vivent, groupés ou
non, sous l’autorité d’une même personne à qui ils reconnaissent
un lien de parenté, soit la cellule sociale formée par les
conjoints et leurs descendants, soit parfois un ensemble de
personnes dont les ancêtres avaient une forte alliance de par leur
voisinage ou des intérêts communs.
Le parentage [haut]
Le
parentage qui est composé des descendants d’un même aïeul, qui
reconnaissent l’autorité, ou au moins la prééminence, d’un patriarche,
le plus âgé des membres de ce parentage. Ce groupement se nomme:
gorol, «lignée masculine», ou encore «ensemble des parents»: musidal,
«ceux qui sont issus d’une même porte»: bhe dambugal gootal. Le chef
de ce groupement est le hoore gorol: tête de lignée masculine; mawdho
musidal: ancien du parentage. Il serait souvent inexact de considérer
cet ancien comme un chef; les manifestations de son autorité, quand
autorité il y a, sont intermittentes; il s’agit plutôt d’un président
du conseil de famille. Ce parentage peut être plus ou moins étendu,
c’est-à-dire comprendre seulement les descendants d’un même
grand-père, surtout chez les pauvres gens sans importance sociale, ou
s’étendre aux descendants d’un ancêtre antérieur de cinq, six
générations ou plus, dans les groupes aristocratiques; dans ces
derniers, les liens généalogiques sont conservés avec plus de soin et
les pouvoirs familiaux du Patriarche se doublent d’attributions
politiques.
Le ménage polygyne
[haut]
Le ménage
polygyne, ou famille réduite, composée de l’homme, de ses épouses et
concubines, de ses enfants, de ses serviteurs agricoles, de ses
domestiques. On nomme ce groupement: bheyngure, c’est-à-dire
«acquisition personnelle», agrégat, croît; ce sont les êtres que
l’homme a acquis lui-même, qui s’ajoutent à lui, dépendent de lui, lui
appartiennent et lui obéissent; on dit encore qu’ils sont «sous ses
pieds» (ley koydhe makko). L’habitation de ce groupe est le gallé, ou
enclos, à l’intérieur duquel il est réparti en plusieurs huttes
(suudu); il peut y avoir plusieurs enclos: l’un près de la mosquée
paroissiale (misiide) l’autre au hameau de cultures (marga) un
troisième au hameau des serviteurs (runde). Le chef de famille est le
jom gallé, maître d’enclos, ou jom hoggo. Les enfants font partie du
bheyngure (ou gallé) paternel; après une période d’attente qui va de
la puberté au mariage, les fils fondent, avec l’aide de leur père, un
nouveau gallé où seront logés l’épouse, une servante, et quelques
têtes de bétail, qui seront le noyau de son bheyngure personnel. Les
gallé, essaimés du gallé paternel, issu lui-même du gallé du
grand-père, dont sont issus aussi les gallé des oncles paternels,
formeront un même parentage (dambugal). L’assemblée des jom gallé se
réunira sous la présidence de l’Ancien, aîné de ce parentage. La
cellule sociale réelle tend à être de plus en plus le ménage polygyne,
au détriment du parentage patriarcal: ceci est dû, ici comme ailleurs,
à la dislocation sociale causée par la colonisation. D’autre part, il
ne paraît pas que le Patriarche n’ait jamais eu, chez les Peuls du
Fouta Djallon, une autorité égale à celle du Patriarche chez les
sédentaires cultivateurs, chez les Mandingues, par exemple.
Droits et obligations du chef de
groupe [haut]
Le terme
«chef de groupe» est un terme trop fort pour désigner ce doyen des
anciens, président du conseil de famille, qu’est le Mawdho musidal
(ou, absolument: mawdho). En fait, l’organisation du parentage est
beaucoup plus parlementaire que monarchique: ce sont les Anciens qui
gouvernent, non le Patriarche; on entend dire souvent: «nos anciens
ont décidé ceci», - à propos des événements familiaux: baptêmes,
mariages, successions, ou des décisions concernant cultures et
troupeaux; on entend dire beaucoup moins: notre ancien. La vie
familiale peule, comme la vie politique, s’écoulait dans une
atmosphère de palabres (réunions: pottal). Nous reviendrons sur les
droits et devoirs du Mawdho, dans les sections relatives au mariage et
surtout à la propriété. Nous verrons ici les obligations du parentage
envers l’Ancien.
Mariage [haut]
On peut
«retenir d'avance», tanaadé, une petite-fille, comme on peut «retenir
d'avance» un bien quelconque, par exemple une génisse, ou même le
futur produit d'une vache pleine, ou les fruits pendants d'un arbre ou
d'un champ, etc... La fille retenue se nomme: tanaadho, la fiancée.
Celui qui l'a retenue: taniidho, le père du fiancé. Celui pour qui on
l'a retenue: tananaadho, le fiancé.
Généralement sept ans environ, de façon qu'on attende encore sept ans
jusqu'au mariage. Le futur mari est généralement plus âgé, peut même
être un homme fait; quoique, le plus souvent, cette forme de mariage
soit usitée surtout pour la première union d'un garçon, s'il s'agit
d'une fille libre. Pour les serves, il en était différemment; un homme
mûr, déjà pourvu d'épouses, assurait le ravitaillement de sa
vieillesse en «retenant» les fillettes de ses serfs. Mais il
s'agissait plutôt alors d'élevage que de fiançailles.
Les
premières démarches, sur l'initiative du père, sont faites par la mère
du garçon, qui va trouver la mère de la petite après avoir fait coudre
un pagne en bandes de coton et acheté quelques noix de cola. — «Notre
chef de famille désire cette enfant pour notre un tel; si Dieu lui
donne vie, accordez-la nous». La mère de la petite répond: — «Nous
avons entendu; si Dieu en a ainsi décidé, et si c'est son désir à
elle, nous vous la donnerons». Elle en fait part à son mari qui
informe la famille du futur, par des messagers, de son consentement ou
de ses regrets polis: — «Il n'y a pas moyen, nous avons reçu des
demandes antérieures, etc...» Généralement, il prend sa décision après
avoir convoqué le conseil des anciens du parentage; sa sœur, l'aînée
surtout, est une conseillère écoutée.
Théoriquement, le consentement du père suffit; pratiquement, dans
toutes les négociations matrimoniales, les femmes jouent un rôle
important. Peu de mariages se font sans le consentement des mères. On
apprend à la petite fille l'attitude correcte à l'égard de son futur
mari; c'est-à-dire qu'elle doit le fuir en toute occasion et se taire
quand son nom est prononcé; dès maintenant, ce nom lui est interdit.
Quant aux cadeaux, offerts au cours des années qui séparent
l'engagement des noces, «rien n'est tranché» chacun fait selon ses
moyens et sa générosité. Il est bien d'offrir aux deux grandes fêtes
musulmanes quelque vêtement, quelque morceau de viande, quelques noix
de cola, soit pour l'enfant, soit pour son père et sa mère, pour la
tante paternelle, qu'il serait maladroit d'oublier.
On admet
qu'un mariage est «solide», valide, sous quatre conditions
essentielles.
Le
consentement (yarlagol) du père de la fille, ou de celui qui en tient
lieu, son wali'u; Le consentement, s'il s'agit d'une fille, s'entend
de celui du père ou de celui qui en tient lieu (wali'u). En pratique,
pour un premier mariage, la mère, la sœur du père, donnent aussi leur
avis. Le consentement de la mère de la fille est si bien dans les
mœurs que lorsque deux époux ont divorcé, que leur fille a été élevée
par sa grand'mère paternelle, le père ira cependant chez la
grand'mère maternelle ou, en tout cas, la fera informer de ses
projets, ainsi que son ancienne épouse. La fille bien élevée n'oppose
pas de résistance à la volonté paternelle; étant donné la facilité
des divorces, elle peut espérer se dégager très vite d'une union qui
lui déplaît. L'opinion commune admet qu'il ne faut pas forcer la
volonté de la fille, «parce que les unions ainsi conclues tournent
mal.» Le garçon se laisse faire également; le premier mariage est
voulu par la famille et arrangé par elle.
La
constitution du douaire (tenhe), en fait la loi est accommodante, si
bien que ce douaire peut être assez illusoire, mais encore doit-on
stipuler à son sujet. Ce qui est donné par l'époux à sa femme pour lui
constituer un douaire: c'est le sadaqu réglementaire de l'Islam, et
une condition essentielle de la validité du mariage. Le montant du
douaire varie selon les moyens de l'époux et selon le rang social. La
tendance religieuse moderne tend à faire diminuer le montant des frais
du mariage. Les Peuls distinguent le Toraaré, ce qui est donné par le
gendre (ou sa famille) au beau-père (ou à sa famille) pour en obtenir
une fille: c'est la «demande». Le toraaré devrait être de 25 francs
pour acquérir une fille non encore mariée, de 15 francs pour une femme
déjà mariée». «Le tenhe, une vache de trois ans, ou une somme de
soixante quinze francs». «Si vous ne diminuez pas vos exigences, vos
filles ne se marieront pas et elles vous resteront sur les bras». Chez
les Peuls possesseurs de bétail, le toraaré est une génisse ou sa
valeur, et le tenhe consiste en une paire de génisses, ou un taurillon
et une génisse: c'est le tarif normal et suffisant, préconisé, dit-on,
par Karamoko Alfa, le fondateur du Fouta Djallon. Les tenhe courants
sont de une à quatre têtes de bétail. La valeur minimum est en droit
musulman du quart de dinar (rubu'dinari) mais, en monnaie moderne, les
évaluations varient trop pour être notées utilement (17 fr. 50).
Des
témoins (seedeedyi), au nombre de deux: théoriquement, ce sont ceux
qui ont assisté, à la mosquée, à la proclamation du mariage et du
montant du douaire; en fait, les nombreuses démarches coutumières
constituent une publicité efficace: un mariage occulte ne serait pas
valable et eût été inimaginable autrefois.
Enfin la
consommation physique du mariage (naddigu). L'absence de relations
sexuelles entre les conjoints entraîne l'annulation du mariage, si
elles ne peuvent plus avoir lieu.
L'âge des
conjoints n'entre guère en ligne de compte; on ne considère que
l'aptitude physique au mariage et pour le mari seulement. On admet que
quatorze ans est l'âge normal pour la fille, mais on se base surtout
sur son aspect; car il y a de grandes différences de précocité. «Une
fille est épousable quand ses seins sont poussés et quand ses
menstrues sont régulières». Il y a des filles précoces (farbidho), et
des attardées (tommudho). La mère s'oppose souvent au mariage de sa
fille sous prétexte qu'elle n'est pas nubile; mais il est assez
fréquent de voir une fille mariée et livrée au mari, quelques années
avant d'être nubile. Quant à l'époux, le jeune homme est marié, par le
père qui fait son devoir, entre 18 et 20 ans. Entre 14 et 15 ans,
après la circoncision, on lui donne «les trois vêtements»: blouse,
culotte et bonnet. Il passe deux ou trois ans à vivre célibataire dans
une case à part, seul ou avec des camarades d'âge; puis, son père
l'établit, lui donne un enclos; c'est un nouveau dyom-galle.
L'Islam
est égalitaire et aucun précepte ne défend de s'unir à une fille
musulmane, quelle que soit sa condition sociale. Mais les hommes
libres n'épousaient jamais, ni comme «légitimes» ni comme
«concubines»:
-
Les
filles de laobhé, artisans nomades,
méprisés qui fabriquent mortiers, écuelles et timbales.
-
Les
filles des awlubhé, griots peul.
-
Les
filles des dyeli, griots malinké.
-
Les
filles des daloyaabhé, potières.
Naturellement il n'était pas question, pour ces mêmes groupes,
d'épouser des filles libres (rimbhé), ils se mariaient entre eux. Par
contre concernant les filles des Forgerons (waylubhé), il semble qu'on
pouvait les épouser, au moins comme concubines. Les forgerons semblent
ne pas être considérés comme castés, parce qu'au Fouta Djallon
beaucoup d'entre eux étaient des esclaves mis en apprentissage afin
d'être, pour leur maître, des artisans domestiques. La caste n'est pas
un obstacle juridique: ce n'est qu'une répugnance, qui s'affaiblit
aujourd'hui.
A la maison [haut]
Amateur
des objets de classe et de tout ce qui est de qualité les Peuls
maintiennent généralement des habitudes sobres et sont des
administrateurs très attentifs de leurs biens. Dans les familles
aisées, le serviteur, généralement bien respecté, doit exécuter les
ordres sans discuter. N'oublions pas que ce rôle avait toujours été
confié aux prisonniers de guerre ou aux "esclaves noirs" (mathjoubè
bàle) qui devaient tout à leur seigneur. Jusqu’à aujourd'hui leurs
descendants constituent la dernière caste de la société peule, après
les potiers, les griots (samakalà) et les forgerons. Ces derniers sont
émancipés depuis longtemps grâce à l’importance de la production
d'armes. Bien que les lois, la constitution et l'état de droit,
garantissent depuis un siècle la liberté des personnes, ce rapport de
soumission résiste sous différentes formes jusqu'aux nos jours,
transformée en sorte de symbiose qu'aucune des parties ne semble
intéressée à cesser.
La littérature écrite
[haut]
L’hégémonie peule dans la région du Fouta Djallon fut marquée par la
naissance et la consolidation d’un Etat qui repose sur la foi
musulmane. L’épanouissement de cet empire favorisa également le
développement de centres culturels qui propagèrent l’Islam en Guinée
et dans les pays voisins. Ces grandes écoles formèrent une élite
intellectuelle rompue à la récitation de cantiques religieux, à la
lecture de versets coraniques et à l’écriture en arabe. Elles
rivalisèrent d’ardeur dans l’œuvre de création littéraire. C’est dans
cet environnement socioculturel que naquit et se développa,
parallèlement aux habitudes oratoires de la poésie incantatoire, une
littérature écrite en caractères arabes: l’ajami. Certains auteurs
qualifient cette poétique
d’Islam
noir,
tandis que d’autres l’appelle tout simplement
littérature arabo-islamique d’expression peule.
Quelle que soit la terminologie utilisée, l’essentiel consiste à
considérer qu’avec le contact de civilisations entre le monde arabe et
l’Afrique subsaharienne une littérature écrite a vu le jour.
L’écriture et la langue Puular
[haut]
Le niveau
d'instruction et la conscience de ne pas faire partie des populations
locales font en sorte que dans le Peuls de la Fouta Djallon reste
enraciné un certain sens de supériorité vis-à-vis des populations
limitrophes autochtones. Le contact séculaire à l'Islam et les études
des témoins qui l'accompagnent ont grandement contribué à l’évolution
de culture et de l'instruction de ce peuple d'ex-nomades et, depuis
les siècles passés, d'importantes écoles coraniques ont pu former des
chefs de très haut niveau et, en général, augmenter le niveau moyen
d'instruction des peuls du Fouta Djallon. L'écriture et les livres ont
poussé la langue Poular à une évolution exceptionnelle et le résultat
est une langue complexe, très riche en synonymes et nuances, qui
permet des allocutions riches en rhétorique, en finesse et en
abstraction comparable aux plus connues des langues modernes. Cette
évolution trouve l’un des exemples plus remarquables dans la version
intégrale du
Coran en langue Poular. Grande ouverture d’opinions et
universalité sont les caractéristiques fondamentales de la pensée
religieuse chez les Peuls du Fouta Djallon et l'échange d’opinions
laisse des impressions souvent très surprenantes et positives.
Wikipedia : Fouta-Djalon
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fouta-Djalon
Musique de Guinée : Musique de la Côte et du Fouta Djalon (1998)
https://www.youtube.com/watch?v=nJkxQAotfDg
Alpha Ousmane Barry : Mode d’expression poétique et stratification sociale dans l’état théocratique du Fouta Djallon (2004)
http://semen.revues.org/document2294.html
Portrait d'une femme d'exception - Hadja Zeinab Koumanthio Diallo (2013)
https://www.youtube.com/watch?v=Z8IEtyfIxlA
Documents
[haut]
Vieillard, Gilbert : Poèmes Peuls du Fouta Djallon (1937)
vieillard-1937-poemes-peuls-du-fouta-djallon.pdf <pdf> 86 Ko
Baldé, Saikhou : Les associations d'âge chez les Foulbé du Fouta Djallon (1939)
Balde-associations-Foulbe.pdf <pdf> 1,3 Mo
Vieillard, Gilbert : Notes sur les coutumes des Peuls au Fouta Djallon (1939)
Vieillard-coutumes-peuls.pdf <pdf> 4,9 Mo
Portères, Roland : Encres et tablettes à écrire de fabrication et d'utilisation locale à Dalaba (1964)
Porteres-Encres-et-tablettes-ecrire-Dalaba.pdf <pdf> 1,45 Mo
Sow, Alfa Ibrahim : Notes sur les procédés poétiques dans la littérature des Peuls du Fouta-Djalon (1965)
Sow-Procedes-poetiques-Peul.pdf <pdf> 1,47 Mo
Sow, Alfa Ibrahim : Chronique et récits du Fouta Djalon (1968)
Sow%201968%20Chronique%20et%20récits%20du%20FD.pdf <pdf> 9,2 Mo
Voeltz, K. Erhard : Les langues de la Guinée (1996)
Voeltz-langues-Guinee.doc <doc> 190 Ko
Caudill, Herbert et Diallo, Ousmane Besseko : Learner's Guide to Pular (Fuuta Jallon) (2000)
Diallo-Learners-Guide-Pular.PDF) <pdf> 9,3 Mo
Barry, Alpha Ousmane : Mode d’expression poétique et stratification sociale dans l’état théocratique du Fouta Djallon (2004)
Barry-expression-poetique.pdf <pdf> 220 Ko
Bennett, James: Firo kalfe fii laawol ngalu e huuwondiral Lagine. Glossaire politique et social (en pular) (2005)
Bennett-Glossaire-Pular.pdf <pdf> 565 Ko
|